Recherche
Chroniques
Gaetano Donizetti
Anna Bolena | Anne Boleyn
Moins de cinq ans avant la création parisienne d’I Puritani [lire notre critique du DVD], Gaetano Donizetti (1797-1848) succombe à la tempête romantique initiée par Hernani et, avant Bellini, s’empare d’un sujet faisant revivre la réforme anglaise : les deux actes d’Anna Bolena, son opéra écrit d’après le livret de Felice Romani et donné pour la première fois au Teatro Carcano de Milan le 20 décembre 1830, se déroulent effectivement à Windsor puis à Londres, en 1536.
« Elle rayonnait en chantant, jouant d’un instrument, dansant et dans l’art de la conversation… Il n’était pas surprenant de voir les jeunes hommes de la cour se presser autour d’elle » rapporte l’historien Alison Weir. Mère de la future reine Elisabeth I, Anne Boleyn (que l’on suppose née en 1501 ou 1507, selon qu’on se réfère à une lettre écrite à l’adolescence ou aux mémoires de telle duchesse qui évoquent une martyre pas encore trentenaire) est la fille du diplomate Thomas Boleyn, un favori d’Henri VII. Devenue dame de compagnie auprès de l’archiduchesse et Régente Marguerite d’Autriche (Pays-Bas) puis de la reine Claude (France), elle termine son éducation en 1521 et apparaît à la cour d’Angleterre. Ce n’est qu’en 1525, après des fiançailles contrariées avec le jeune Henry Percy, que la jeune femme tourne la tête du roi Henri VIII, lequel s’obstine à mesure qu’elle se dérobe, si bien qu’il l’invite à l’épouser. Mais comment obtenir une annulation de son premier mariage d’un pape captif du neveu de la reine Catherine qu’il veut éconduire ? Cette dernière bannie, Anne peut épouser son prétendant, d’abord secrètement puis aux yeux de tous, en 1533, lorsqu’elle se découvre enceinte. Mais bien avant l’accouchement, déjà le roi se montre infidèle, et les réprimandes de son épouse, ses opinions politiques et religieuses, puis enfin l’absence d’héritier mâle, commencent à la rendre gênante. De plus, resté fidèle à Catherine d’Aragon, le peuple voit en elle une usurpatrice que le ministre Cromwell souhaite évincer. Il cherche des témoignages accablants, comme cet aveu de liaison obtenu sous la torture, de la bouche du musicien Mark Smeaton. Le 2 mai 1536, Anne Boylen est donc arrêtée, accusée de haute trahison, d’adultère et même d’inceste (son frère faisant parti des présumés amants bientôt exécutés). Au matin du 19 mai 1536, après une courte déclaration en faveur du roi, elle est décapitée d’un seul coup d’épée. À ce jour, les historiens débattent toujours de la véritable raison de sa chute, au point que certains donnent crédit à l’accusation d’adultère.
On perçoit cette innocence un peu trouble du rôle-titre qu’a voulu Éric Génovèse, en plus de décors dépouillés et de costumes magnifiant la beauté des interprètes, pour sa mise en scène de l’ouvrage à la Wiener Staatsoper, en avril 2011. Le Français ose sortir d’une certaine convention, notamment par une proximité du texte assez étonnante et des personnages bien construits qui évitent tout ridicule à des scènes comme la confrontation les deux rivales. Que le tout soit filmé avec soin permet d’apprécier l’homogénéité de la distribution – une même famille de voix, question rondeur et pâte.
Anna Netrebko donne ici une leçon de chant, en alliant nature vocale (couleur séduisante, clarté), technique (conduite précise, déroulement évident, legato exemplaire) et tempérament (d’emblé investi dans son personnage, le soprano ne minaude pas sur les passages de vocalises, comme ferait tant d’autres pour « draguer » le public). Sa voix généreuse n’empêche jamais des nuances incroyables, une conduite sur un fil. Face à elle, Elīna Garanča (Giovanna Seymour) n’est pas en reste de performances vocales, tout comme Ildebrando d’Arcangelo (Enrico VIII), incarnant un personnage ardent soumis à ses passions avec un organe hyper impacté, un legato dense. Francesco Meli (Lord Percy) offre un ténor souple, vaillant et nuancé, sans aucune agressivité. Dan Paul Dumitrescu (Lord Rochefort), Elisabeth Kulman (Smeton) et Peter Jelosits (Sir Hervey) entourent ce quatuor amoureux de façon fort honorable, de même que le chœur maison qui oppose sa composante masculine, pâteuse et imprécise, à une partie féminine autrement plus engagée, ne serait-ce que scéniquement.
Reste à évoquer la présence d’Evelino Pidò en fosse. Sa direction s’avère pleine de relief, du fait d’alterner les moments toniques, tendus voire mordants et électriques, à d’autres extrêmement nuancés qui non seulement créent mystère et suspense, mais encore suggèrent des données psychologiques. Il faut dire que le chef fréquente l’ouvrage depuis longtemps maintenant, puisqu’il le faisait notamment entendre aux Parisiens et aux Lyonnais en novembre 2008 (avec Ermonela Jaho, Sonia Ganassi, Marco Vinco et Dario Schmunck). Un travail et une commercialisation à saluer.
LB